Journal du lundi 7 mai 2001 (Couvent de Vaylats) :
Une journée étrange. J’ai commencé l’étape en compagnie des stéphanois (Guy, Henri, Jacques et Marie-Claudine) puis comme ils préféraient la route au GR65 nous nous sommes séparés. Ensuite j’ai rencontré Dany un belge de 34 ans qui fait le chemin sans un sou en poche comptant sur la providence au jour le jour. Nous avons cheminé tous les deux pendant près d’une heure en échangeant sur nos expériences. Au moment de nous quitter j’ai eu envie de lui donner un peu d’argent mais n’ayant pas de monnaie, je n’ai pas voulu lui laisser mon billet de cent francs et ne lui ai donc rien laissé. Après je m’en suis voulu pour cet égoïsme que des proches m’avaient déjà reproché. J’ai marché seul le reste de la journée. Vers 13 heures je me suis arrêté après Limogne-en-Quercy tout près d’un dolmen pour déjeuner puis j’ai repris m’a route jusqu’à Vaylats où m’attendaient gîte et couvert au couvent de la Congrégation des filles de Jésus. Arrivé au village je me suis arrêté à l’église pour la visiter mais elle était fermée. C’est là que j’ai croisé Jacques : un pèlerin à l’allure de clochard qui arrivait à contre sens et qui cherchait une épicerie. Aujourd’hui dimanche tout était fermé. Il disait appartenir au Tiers Ordre de Saint-François d’Assise et d’être de retour d’un pèlerinage commencé en septembre 2000. Celui-ci l’avait conduit de Genève dont il était originaire jusqu’à Rome, puis la côte méditerranéenne jusqu’à Cadix d’où il était remonté sur le Camino de la Plata jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle. Il en revenait maintenant. Et comme si cela ne suffisait pas, il faisait ce pèlerinage selon la tradition franciscaine en ayant fait vœu de pauvreté c’est à dire sans rien d’autre pour subsister que la charité au jour le jour.
Nous avons longuement discuté. Il me racontait à quel point cela avait été difficile pour lui sur le chemin de la plata, les lieux d’accueil pour clochards lorsqu’il ne pouvait faire autrement, la rudesse et le manque de respect avec lesquels on pouvait parfois traiter ses semblables... Il était impressionnant et il n’y avait, face à cet homme à la voix grave et profonde, aucune place pour le doute quant à la véracité de son récit. Je lui ai proposé le peu de nourriture qu’il me restait et les 100 francs que je n’avais pas laissé à Dany quelques heures plus tôt. Il a accepté avec reconnaissance et m’a proposé de prier pour moi au moment de nous quitter. J’ai accepté et nous sommes restés là, debout devant cette église fermée à nous recueillir, lui priant le ciel à haute voix de me donner les forces d’aller au bout de ce voyage et moi impressionné par la force que dégageait cette voix grave, calme, douce et profonde comme sortie du fond de l’âme.
Nous nous sommes séparés sur la place déserte de cette église fermée et je suis allé au Couvent où m’attendait tout le confort qu’il n’aurait, lui, sans doute pas cette nuit.
Une bien étrange journée que celle-ci...